Capter et stocker l’énergie
C’est le second des douze principes de permaculture énoncés par David Holmgren. La présentation ci-dessous s’inspire fortement du livre de « Permaculture, Principes d’action pour un mode de vie soutenable » de D. Holmgren. Les citations en italiques sont tirées de cet ouvrage.
La vie fonctionne à l’énergie solaire
L’énergie est une des notions les plus transverses des sciences. Ses lois s’appliquent à l’ensemble des phénomènes connus, de l’explosion d’une étoile, à la croissance d’un bébé humain, en passant par l’établissement des écosystèmes, le chauffage, la fabrication d’un jean et l’ensemble de ce que nous appelons « l’économie »… Tous les êtres vivants « fonctionnent » à l’énergie solaire (à deux exceptions près : les écosystèmes chimiotrophes des abysses et les humains du XX et XXIème siècles). D’abord captée par les plantes par photosynthèse, l’énergie est mise à la disposition de l’ensemble du vivant : des herbivores mangent les plantes des carnivores mangent les herbivores, se faisant, ils les poursuivent grâce à de l’énergie…« solaire bio-transférée ».
Passez l’hiver
Depuis des temps immémoriaux, dans les zones tempérées, « passer l’hiver » signifie avoir capté et stocké assez d’énergie pour traverser cette période de froid et « repartir » au printemps. Ceci était vrai que l’on soit un ours, un arbre ou un humain. Même si depuis un siècle environ cette longue habitude s’est perdue dans nos sociétés, l’humanité a connu cet enjeu pendant des dizaines de milliers d’années. D’un point de vue général, la capacité à capter et stocker l’énergie est l’une clé du succès pour les écosystèmes et les êtres vivants. Aussi la permaculture nous incite à reprendre à notre compte cette stratégie gagnante dans la nature. Au niveau local, chaque groupe humain peut améliorer sa capacité à capter et stocker l’énergie. A plus grande échelle, la restauration du capital naturel des écosystèmes est une vaste stratégie énergétique.
La descente énergétique
Le pétrole est une ressource non renouvelable qui est à la base de l’essentiel de la production économique actuelle. « Nous avons utilisé une partie de cette richesse pour exploiter davantage encore les ressources renouvelables offertes par la Terre et nous avons atteint un niveau non soutenable. A mesure que les combustibles fossiles disponibles se raréfieront, les répercussions négatives de cette sur-exploitation seront plus sensibles. En langage financier, on pourrait dire que nous dépensons sans compter le capital mondial, ce qui conduirait n’importe quelle entreprise à la faillite. » Holmgren p.108
Les tensions sur l’offre des hydrocarbures sont parfois présentées comme génératrices de catastrophes, voir de fin du monde. La permaculture propose une autre vision : la descente énergétique sera la prochaine grande aventure humaine. Sans sous estimer sa difficulté (qui est immense), ce peut être une nouvelle phase de créativité et d’approfondissement de la civilisation. Nous avons un but, un monde à réinventer, une nécessité pour mobiliser la capacité de création et d’organisation des humains du XXIème siècle. La création d’une société heureuse dans le contexte de la descente énergétique est l’objet de la permaculture.
Capter et stocker l’énergie à l’échelle locale
A l’échelle de la famille ou de la bio-région, nous pouvons concevoir et mettre en place différents moyens de capter et stocker l’énergie. Les « énergies renouvelables » font partie de cette stratégie. L’éolien mécanique pour pomper de l’eau et le solaire thermique pour sécher des denrées ont l’avantage de coupler le captage de l’énergie à un stockage saisonnier, ce qui n’est pas le cas des systèmes de production électrique. La biomasse, notamment le bois est un stockage de l’énergie solaire sous une forme aisément manipulable. La micro hydraulique est une excellente source d’électricité lorsqu’une retenue d’eau permet de stocker l’énergie apportée par la pluie pour les périodes de fort besoin. La conception bioclimatique des maisons qui favorise les apports solaires d’hiver liés à une forte inertie est une illustration supplémentaire de « capter et stocker l’énergie. » Bien sûr, la production d’électricité grâce à des panneaux photovoltaïques ou / et des éoliennes génératrices ou des micro-centrales hydroélectrique sont des manières utiles de capter l’énergie. Il faut garder en tête que ces systèmes sont dépendants d’industries lointaines, qu’ils sont difficilement réparables et recyclables et qu’il n’existe pas de stockage efficace de long terme pour l’électricité. Ces limitations doivent être prises en compte dans toute conception permaculturelle qui mettra en avant les utilisations de système d’énergie renouvelable low-tech résilients.
La part centrale des céréales dans l’alimentation moderne est loin d’être un hasard. Elle s’explique largement par leur capacité à « capter et stocker l’énergie ». La graine est une « invention » récente dans l’évolution des végétaux. Son originalité réside notamment dans une réserve énergétique stockée à disposition de la future plantule lors de sa germination. Les humains ont bâti la « société du grain » pour des raisons énergétiques. Le blé est l’une des cultures fournissant le plus de calories assimilables par hectare cultivé. Le silo à grain plein avant l’hiver a permis à la population humaine d’augmenter rapidement au moment où le néolithique basculait dans la modernité. Les confitures, le jambon sec, la lactofermentation, les bocaux et conserves sont autant de recettes traditionnelles permettant de « capter et stocker » l’énergie. Les fours solaires et séchoirs solaires permettent d’étendre
la gamme des méthodes de stockage de nourriture. Le fait de miser sur les arbres (noyers, châtaigniers, amandiers, noisetiers et fruitiers) pour produire un part significative de la ration calorique est l’une des grandes innovations proposées par la permaculture. En effet ces plantes sont plus proches que les céréales de l’écosystème naturel dans notre zone climatique (climax) : la forêt.
« A Melliodora, nous voyons la boîte à semences, le cellier rempli de produits et le tas de bois comme les réserves traditionnelles d’une modeste richesse dont nous nous réjouissons. L’ordre et la diversité qui règnent dans la boite à semences reflètent les efforts que nous fournissons pour préserver, échanger et acheter la possibilité d’une abondance lors des saisons à venir. Un garde-manger et un cellier bien garnis sont l’expression même d’une saison généreuse et l’assurance d’être protégé si la saison suivante est mauvaise. Un imposant tas de bois, fait de bois vert et de vieux bois de deux ans prêt à être utilisé, est à la fois le fruit de la générosité de la nature et celui d’un dur labeur ; il mûrit lentement au gré des pluies et des ensoleillements. »p. 144
« Nous sommes raccordés au réseau électrique. Grâce à la conception de la maison et à notre style de vie, notre consommation est inférieure de plus de 80% à celle d’un foyer classique avec moins de 3 kWh par jour. Pour le chauffage, l’eau chaude domestique et la cuisine – des postes gourmands en énergie – nous utilisons de l’énergie renouvelable (solaire passif et bois). Notre garde-manger refroidi par évaporation, notre alimentation saisonnière et nos méthodes de conservation de la nourriture économes en énergie font de l’électricité utilisée pour la réfrigération un besoin occasionnel plutôt qu’un service de base. »p.155
Les formes de stockage d’énergie adaptée à la résilience à l’échelle locale sont par nature :
- diverses
- de petites taille
- dispersées
- faciles à utiliser
- pas assez précieuses ni transportables pour attirer les voleurs et ceux qui cherchent à s’accaparer la richesse.
« Un pays dont la richesse s’exprime ainsi est bien plus sûr et stable qu’un pays dépendant de systèmes centralisés à haut débit pour pouvoir manger, se chauffer et s’éclairer… » p. 145
Restauration du capital naturel
Si la consommation d’énergie fossile actuelle s’apparente à la dilapidation d’un capital mondial, une véritable stratégie de résilience passe par la restauration des capitaux naturels que sont l’eau, les sols, les arbres et les semences. La restauration des paysages via ces quatre axes rend à notre environnement la capacité de capter et stocker l’énergie, ce qui est une base de la santé et de la résilience de l’écosystème.
« Les stratégies permaculturelles de développement et d’évolution des paysages concernent aussi bien les arrière-cours de nos maisons que l’horizon lointain de nos champs, et traitent du présent comme du futur. La plupart d’entre elles, si ce n’est toutes, s’attachent à reconstituer le capital naturel des paysages à travers quatre réservoirs d’énergie de première importance : l’eau, le sol vivant, les arbres et les semences »p. 115
L’eau
Quelques stratégies permaculturelles dans la gestion de l’eau à petite et à grande échelle :
-
ralentir le flux
- limiter l’érosion
- garder les nutriments
- épurer l’eau biologiquement
- aquaculture
« Les marais et les zones humides représentent des réservoirs temporaires et des filtres encore plus importants. Du fait de leur rôle dans le filtrage et la purification de l’eau, on les appelle les « reins » des bassins hydrographiques. » p.120
Sol vivant
Quelques stratégies permaculturelles dans la gestion des sols :
- reconstituer le stock d’humus (engrais verts, apports de matière organique)
- ce qui stocke du carbone dans le sol
- affiner notre approche du sol en tenant compte des divers types de matière organique de leurs fonctionnements dans le sol et en développant une vision complexe de la nutrition des plantes (santé, équilibre, oligoéléments…)
« Les sols constituent le principal réservoir de substances nutritives dans les climats tempérés. L’humus est sans doute la plus belle « invention » de la nature, car il accroît la capacité des sols à stocker les substances nutritives minérales, de l’eau et du carbone. Il n’est donc pas étonnant qu’il fasse l’objet d’un véritable culte en agriculture biologique, en biodynamie et en permaculture. » p.122
Arbres
- favorables à la structure du sol à la pénétration de l’eau dans le sol et à la pluviométrie
- correspondent au climax des zones tempérées
- fournissent de la nourriture
- sont des matériaux de construction et de l’énergie stockable
- stockent du carbone
« […] la richesse des nations se mesurera à la quantité et à la qualité de leurs forêts. […] Lorsque [l’exploitation des combustibles fossiles] ralentira, le bois, à son tour remplacera petit à petit l’acier, le béton, l’aluminium, le plastique et d’autres matériaux composites gourmands en énergie. Mais pour réussir cette transition, nous devons faire pousser des forêts au moins une génération à l’avance. »
Les semences
- diversité génétique
- base de la capacité d’évolution
- variétés régionales pour se passer de produits « phytosanitaires »
- l’art millénaire des paysan
- le droit des peuples
« C’est sa culture régulière qui permet de conserver une variété de semences. Le jardin potager permaculturel peut donc être considéré comme le lieu de stockage d’une énergie bien particulière : l’information génétique. Et les semences stockées sont la forme stable et durable que prend cette information à un moment donné du cycle » Notons que l’information génétique n’est pas en soit une énergie (mais simplement de l’information), mais c’est bien la réserve énergétique contenue dans la graine qui permet l’expression de cette information (germination) et son évolution et sa mise à jour (floraison, reproduction et formation de nouvelles graines).
« L’eau, le sol vivant, les arbres et les semences présentent tous les caractéristiques suivantes, importantes dans le cadre d’une société soutenable sobre en énergie » :
- un certain degré d’autosuffisance
- un faible taux de dépréciation
- une exploitation facile sans technologie spécialisée ni coûteuse
- une résistance à la monopolisation au vol et à la violence
Conclusion
Le simple principe de « capter et stocker l’énergie » nourrit tant nos pratiques personnelles à la cuisine, que l’aménagement des terrains familiaux et les stratégies de territoires pour la reconstitution de paysages résilients. Issu d’une des lois fondamentales de la nature, c’est un principe à toujours garder en tête lors d’une conception ou d’un aménagement en permaculture.
Pour en savoir plus
Exemples d’écolieux aménagés pour capter et stocker l’énergie :
La maison autonome de la famille Baronnet
La Coudémière, lieu en permaculture animé par l’association Terre paille et compagnie et Pascal Depienne.
Ecorénovation pour transformer une maison classique en maison bioclimatique (qui capte et stocke l’énergie) par Horizon Permaculture.
Sur la transition énergétique :
Manicore, site de Jean-Marc Jancovici, une mine d’information sur notre dépendance aux énergies fossiles.
Les villes en transition, mouvement créé par rob Hopkins (professeur de permaculture) pour répondre, entre autre aux enjeux énergétique du XXIème siècle : positif, créatif, efficace, une stratégie à suivre. un peu plus proche de la source : le mouvement anglais The Transition Towns. et leur excellent travail pour créer des métiers de la transision : Reconomy