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Depuis le 1er juillet, on connaît les 13 fermes d’avenir sélectionnées pour représenter l’agriculture de demain. La (r)évolution des champs s’annonce innovante, écologique, audacieuse, humaniste. Petit tour de France des projets optimistes, de la Manche aux montagnes corses.
Le concours a été lancé au printemps dernier par l’association Fermes d’avenir en partenariat avec La Ruche qui dit Oui ! et grâce au soutien d’une belle brochette de partenaires (Groupe Clarins, Fondation Lemarchand, BNP Paribas, Crédit Coopératif, Alimentation Générale).
« Faites-nous rêver », indiquait le dossier de candidature. Avec plus de 200 dossiers reçus, plus de 7000 pages à lire, le travail du jury* aurait pu tourner au cauchemar. Il n’en est rien. Parcourir ces dossiers, se plonger dans les vidéos, feuilleter les photos, sentir la passion de cette nouvelle génération d’agriculteurs donne une énergie incroyable. Les campagnes bouillonnent de créativité, c’est particulièrement réjouissant.
Les porteurs de projets avaient tous leurs spécificités, et tous les secteurs étaient représentés : élevage, céréales, maraîchage, polyculture, mais aussi des fermes d’écrevisses, de rice-ducking, d’escargots….
Nous avons reçu des candidatures de fermes de toutes tailles : de moins d’un hectare jusqu’à 280ha !
Beaucoup des agriculteurs avaient moins de 35 ans, et de nombreux candidats étaient….des candidates ! La palme du woman-power revient sans conteste à la Corse avec 80% de projets portés par des femmes..
Nous avons pu réaliser à quel point les concepts de l’agro-écologie étaient présents dans les projets : permaculture, agro-foresterie, agriculture biologique, techniques de conservation des sols, biodiversité se mêlent dans les dossiers aux projets de transformation, de pédagogie ou d’accueil à la ferme.
Certaines régions étaient mieux représentées que d’autres, avec plus de 30 candidats dans les régions Poitou/Limousin/Aquitaine, Midi-Pyrénées/Languedoc Roussillon et Auvergne/Rhône-Alpes .
« Le choix était parfois déchirant, rapporte Claire Uzan, Fondatrice de Horizon Permaculture et membre du jury. Il a fallu renoncer à certains coups de coeur. » Pourtant, après avoir d’abord voté secrètement puis échangé et discuté sur les candidatures plébiscitées, le jury parvient à se mettre d’accord en ce début d’été sur les 13 lauréats qui dessineront une certaine agriculture du futur.
« Cette sélection présente une belle diversité, se félicite Guilhem Chéron, co-fondateur de La Ruche qui dit Oui ! Diversité des projets, des profils, des exploitations, des innovations. » Toutes les innovations proposées ont à coeur de réduire l’impact environnemental de l’agriculture, d’améliorer les conditions de travail, de rendre ce métier plus accessible, plus désirable aussi. » On ne trouve pas de drone ni de technologies ultra-sophistiquées, poursuit Guilhem, mais de l’intelligence partagée, des énergies renouvelables, de l’écologie appliquée à l’agro-économie, de la mutualisation et du travail collaboratif. De bons ingrédients pour écrire l’avenir. »
Les 13 fermes lauréates recevront à l’automne sûrement 10 000 € et jusqu’à 30 000 euros en fonction des dons reçus sur le site de financement participatif Blue Bees (la collecte sera lancée en septembre prochain). La Ruche qui dit Oui ! et Fermes d’avenir vont désormais accompagner et suivre ces fermes pilote tout au long de leur projet. Car parmi les objectifs de ce concours figure celui de faire tourner les bonnes idées et d’essaimer.
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Energie au petit lait. Pierre Tranchant est paysan-boulanger bio, sa compagne éleveuse de chèvres poitevines. Il y a quelques années, ils ont uni leurs coeurs et leurs productions. Les céréales produites sur la ferme (100 blés différents) servent à fabriquer du pain mais aussi du son qui complète la ration à base d’herbe des biquettes qui elles-mêmes produisent du fumier qui à son tour enrichit les cultures. Le leitmotiv du couple ? Tendre vers le 0 carbone consommé pour les travaux agricoles et le 0 intrants industriels pour la ferme. Depuis 2006, Pierre travaille autant que possible ses 33 hectares avec des chevaux de trait. « Mon souhait est d’abandonner à court terme le tracteur grâce à des outils de travail de sol simplifié innovants et la pratique de l’agriculture de conservation, » confie-t-il. Aujourd’hui, à l’instar de ce qui se passe en Afrique, le couple entend s’équiper d’un micro-méthaniseur pour transformer le lactosérum de la fromagerie en biogaz et ainsi alimenter sans une goutte de pétrole ni un gramme d’énergie nucléaire leur véhicule de livraison, la fromagerie, la cuisine de la ferme et le séchoir mobile à millet et sarrasin.
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L’agroforesterie au cœur de la Beauce. Adrien et Benjamin Pelletier sont deux frères paysans-meuniers-boulangers, rejoints depuis peu par Hélène Simon, spécialiste du pain au levain. Leur crédo ? Faire un travail de qualité de la semence jusqu’à la miche. Leurs outils ? Une rotation culturale agro-écologique, un moulin à la meule de pierre, un four à biomasse, un savoir-faire traditionnel. Leur ferme se situe au Nord de la Beauce. « On dit que c’est le grenier de la France mais la majeure partie de la production part au bout du monde, » constatent-ils. Sur leur ferme, ils entendent relocaliser la production en travaillant sur la sélection de blés paysans biologiques adaptés à leur terroir. Mais ce n’est pas tout. Grâce à Fermes d’avenir, ils vont tester l’agroforesterie et faire pousser dans leurs champs merisier, cormier, alisiers, charme ou tilleul pour construire une agriculture écologique plus performante.
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Chevaux électriques. Mélina et Guillaume producteurs de légumes, de petits fruits, de confitures, d’oeufs, de bois dans une vallée délicieuse de l’Ariège ont un rêve : fabriquer et utiliser une trépigneuse. Une quoi ? « Une trépigneuse est un système ingénieux permettant d’utiliser l’énergie mécanique de l’animal pour faire fonctionner diverses machines utiles sur une ferme », précise la très jeune maraîchère qui a d’ores et déjà recours à ses deux juments, Vanille et Pyrène, pour travailler la terre. La machine n’étant plus commercialisée en France, Mélina et Guillaume ont constitué un groupe de paysans pour créer et auto-construire collectivement la machine. Celle-ci servira à alimenter une fendeuse à bûche, une scie à bûche (pour moins utiliser la tronçonneuse), un broyeur à végétaux (pour le paillage et le BRF bois broyé), un groupe électrogène (pour transformer l’énergie mécanique en électricité). « Notre rêve d’autonomie énergétique pourra enfin se réaliser grâce à ce projet », explique la jeune femme.
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Agriculture circulaire. Vivre décemment avec seulement 2,3 hectares de terres, Charles et Lauriane y croient. Pour y parvenir, le jeune couple mise sur les techniques de la permaculture et souhaite combiner élevage et maraîchage dans une logique d’économie circulaire. « Pour nous la ferme, c’est un écosystème. Tous les éléments entrent en résonance. » Aussi, les deux amoureux prévoient de créer un étang dans lequel ils réintroduiront le brochet d’Alsace et l’écrevisse à pattes rouges. Tout autour, ils planteront des variétés anciennes de pommes et poires locales qui prêteront leurs troncs pour faire pousser shiitake et pleurotes. Leurs fruits tombés au sol nourriront cochons et volailles qui, en guise de reconnaissance offriront leurs déjections pour construire des buttes maraîchères et faire pousser toute une kyrielle de légumes maraîchers. Opération zéro déchets !
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Paysans-cuisiniers. Si certains grands grands chefs ont un potager pour composer les assiettes des clients, Emeric, Camille et Marie verraient bien leurs porcs, leur pain-paysan et leurs produits laitiers prendre place à la table de leur restaurant à la ferme. Dans la grange écologiquement rénovée avec vue sur la baie du Mont Saint-Michel, les trois trentenaires prévoient de réaliser un restaurant alimenté à 95% par les produits de la ferme. « Pour les fruits et les légumes, il nous faut mettre en place un jardin en permaculture, confie Emeric. Avec 2000 m2, on devrait pouvoir y arriver d’autant que l’on prévoit d’intercaler des lignes de vignes, de pruniers et de kiwis entre les buttes. » Si le trio obtient plus d’argent, il poursuivra sa route vers plus d’autonomie en récupérant l’eau pluviale, en créant un système de phyto-épuration et en valorisant les haies.
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Une ferme pour les abeilles. Dans la vallée du Champsaur, au coeur du dernier bocage de montagne de France, Jonathan et Clémentine veillent sur leurs 200 ruches composées d’abeilles noires, rustiques et locales. Des poules Marans profitent également de la vue sur les montagnes. « L’environnement se détraque, déplore Jonathan, les abeilles en souffrent, nous voulons arrêter de les déplacer et créer une ferme où elles pourraient vivre le plus sainement possible. » Pour diversifier leur production et sortir de l’api-monoculture, les deux passionnés ont aménagé un potager de 300 m2. « En montagne, la saison chaude est courte et approximative. Les amplitudes de températures sont importantes, jusqu’à 15°C en 24h, les nuits il gèle parfois jusqu’au mois de juin, explique Clémentine. C’est pour cela que nous souhaitons construire une serre semi-enterrée bioclimatique de type “walipini” avec récupération d’eau de pluie. » Matériaux locaux et écolos, architecture intégrée (l’exploitation se situe au pied du Parc national des Ecrins), chantier participatif feront partie des ingrédients-clé projet.
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Cultures au pluriel. Jérôme Dehondt ne lésine pas sur la diversité. Sur un demi hectare de cultures maraîchères, le quadragénaire cultive plus de 200 variétés potagères, une trentaine de plantes aromatiques et une quinzaine de fruitiers. Une incroyable pluralité qu’apprécient particulièrement les amapiens, la Biocoop ou le restaurant gastronomique de sa commune. « L’idée générale est de donner à la ferme une fonction nourricière en ne la spécialisant pas », explique Jérôme qui a également un projet de petit élevage et d’apiculture dans les cartons. Cette polyvalence est aussi valable pour les aménagements de la ferme. Le projet prévoit de construire une serre accolée au bâtiment qui accueillera les plants et apportera un appoint de chaleur aux locaux situés à l’intérieur du hangar. Accolés à cette serre-véranda, des châssis permettront des semis précoces et se transformeront en support pour un séchoir solaire l’été venu. Les semis seront quant à eux effectués dans une serre à plants couplée à un petit poulailler. Enfin, Jérôme prévoit d’auto-construire une éolienne pour alimenter en électricité la pompe à eau de surface pour l’irrigation des jardins. Ingénieux non ?
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Conserverie participative. De ses champs en Picardie, on aperçoit la plus grande conserverie d’Europe alimentée par toutes les grandes monocultures du coin. Nicolas Thirard, lui, a choisi un tout autre chemin. « Je cultive en maraîchage bio sur 6 hectares, j’ai installé des panneaux solaires sur 350 m2 de toit, planté des vignes collectives, je privilégie également la vente directe…» Le maraîcher quadragénaire prévoit de créer dans l’ancien grenier à foin une conserverie collaborative avec autoclave et autre matériel de transformation. Des bloggueurs, des petits et grands chefs, des gourmands pourront y créer des recettes de soupes, chips, tajine, ratatouille à partir des bons légumes de la ferme. « Avec cette conserverie, je pourrais valoriser au mieux ma production et poursuivre ma marche vers l’autonomie. »
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Production low carbone. Ca pourrait être l’alimentation du futur tellement la production ne pèse pas lourd sur les ressources de la planète. Deux escargots apportent autant de protéines qu’un steak et il ne faut à Frédéric Marcouyoux que 800 m2 pour élever ses 180 000 bêtes à cornes de façon extensive. Aujourd’hui, d’autres animaux viennent prêter main forte à l’élevage des escargots : des moutons et des lapins pour entretenir la végétation, des poules pour aérer la terre. « Il n’y a plus une goutte de pétrole sur l’exploitation, » raconte l’éleveur de 32 ans qui travaille manuellement et avec un maximum de producteurs locaux. Son projet prévoit la plantation d’un verger de 50 arbres fruitiers de variétés locales et l’équipement de son atelier de transformation (construit en matériaux du coin et écolos) avec toute une gamme de machines pour valoriser cette nouvelle production fruitière.
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Agriculture collective. Isolés les agriculteurs ? Dans le Lot-et-Garonne, un réseau agricole associatif rassemble Charles, Matthieu, Marie, Joseph, Thibault, Sébastien, Anne-Sophie, Maxime, Marion et Laurène, maraîchers, éleveurs, apiculteurs ou producteurs de plantes médicinales. « Ce regroupement local permet l’échange de parcelles dans le cadre de rotations culturales, la mutualisation de matériel agricole (outils, tracteurs, animaux de trait), l’entraide pour les chantiers agricoles ou en écoconstruction, l’accueil de woofers », se réjouit Paul Bosshardt qui cultive des fruits et légumes de variétés paysannes au sein du GAEC Au rythme des saisons. Particulièrement tourné vers l’extérieur, le groupement souhaite partager la passion de ses agriculteurs et accueillir le public dans de bonnes conditions. Le projet ? Aménager le bâtiment pour organiser des ateliers, des stages de cuisine, des journées de formation, des festivals agri-culturels… Vous viendrez ?
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Les inventions qui facilitent la vie. Matthieu Dunand, Jérôme Dethes et Gwenaël Chardon n’entendent pas devenir des esclaves modernes de la terre. « On travaille rarement le week-end, » préviennent les trentenaires qui ont conçu leur exploitation maraîchère main dans la main avec les Amaps du coin. « Aujourd’hui, notre ferme a atteint un équilibre socialement viable pour nous trois, prévient Matthieu, l’enjeu est d’aller vers encore plus d’autonomie et moins de travail, en réfléchissant notamment à l’ergonomie. » Avec l’Atelier paysan, plateforme d’invention d’outils agricoles en open source, les trois militants envisagent de créer un certain nombre d’outils pour leur faciliter la vie (et celle de leurs confrères). Parmi elles, la brouette à poules (pour rendre les poulaillers mobiles), le culticycle, un vélo des champs qui sait aussi bien biner que planter ou le Roloflex qui permet de cultiver sur couvert végétal.
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Ferme de montagne connectée. A 750 mètres d’altitude, sous les lignes de crêtes montagneuses de la vallée du Taravo, Maria-Ghjuvanna et Sylvain n’entendent pas se déconnecter du monde pour autant. Enfants de la génération Y, ils souhaitent utiliser les nouvelles technologies pour commercialiser leur production de miel (AOC miel de Corse), de légumes bio et de safran. Les deux trentenaires imaginent réaliser des paniers de produits transformés qu’ils commercialiseront à Ajaccio via une application smartphone. Au cœur d’un village inscrit dans une logique de développement durable, notamment par l’optimisation de la gestion des matières premières, eau et énergie, leur ferme veut en être une déclinaison agricole. A l’avenir, les deux gastronomes souhaitent mettre en place une ferme-auberge bioclimatique et valoriser leur contrée perchée. « Nous pourrons ainsi accompagner la dynamique municipale qui vise à installer des jeunes au village, » conclut Maria-Ghjuvanna.
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L’agriculture vivante. Parce que plonger les mains dans la terre permet de reprendre pied, la ferme d’Heurteloup souhaite développer l’agriculture participative, une agriculture dédiée au vivant et à la vie. Dans cette ferme bio où l’on cultive avec passion légumes, fruits et céréales et où l’on fabrique du pain à l’ancienne au feu de bois, Nicolas Humphris prévoit de recruter un animateur pour d’accueillir toutes les personnes désireuses de se ressourcer, mais aussi les publics marginalisées, les scolaires… « Je viens mettre la main à la pâte dès que je peux, c’est mon havre de paix, témoigne Florence, chacun est toujours le bienvenu, on prend plaisir à rester un moment, à discuter, à aider. C’est un endroit où tout semble simple, au plus proche de la nature, serein. » La culture des légumes et des produits de la ferme sera ouverte à tous dans le cadre d’activités ludiques permettant de vivre l’expérience revigorante que peut offrir la terre : maraîchage, moisson du blé, fabrication du pain, mais aussi ateliers cuisine, création d’un jardin pédagogique, d’un poulailler … Envie de se reconnecter ?
Les prochaines étapes
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* Les 11 membres du jury
- ANDRÉ BERGOT, Administrateur du Mouvement inter-régional des AMAP
- NICOLAS HULOT, Ambassadeur de France pour le Climat
- CLAIRE UZAN, Fondatrice de Horizon Permaculture
- FRANÇOIS LEMARCHAND, Fondateur de Nature & Découvertes
- CHRISTIAN COURTIN, Président de Clarins
- RAPHAËLLE LEROY, Responsable des Relations avec les associations de consommateurs chez BNP-Paribas et RSE
- GUILHEM CHÉRON, Co-fondateur de la Ruche qui dit Oui !
- HÉLÈNE BINET, Responsable éditoriale de la Ruche qui dit Oui !
- LOUIS ALBERT DE BROGLIE, Président du Comité scientifique et économique de Fermes d’Avenir
- HENRI DE PAZZIS, Président de Fermes d’Avenir
- MAXIME DE ROSTOLAN, Directeur du projet Fermes d’Avenir