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Fertilisation (2) : comparaison des pratiques

jardinier maraicherJeavonsSuite à une réflexion sur la stratégie de fertilisation et avant de décrire précisément la solution adoptée à la Bourdaisière, voici un tour d’horizon des pratiques qui nous sont proposées dans différents ouvrages de spécialistes du maraîchage agroécologique : John Jeavons, Jean-Martin Fortier, les Bourguignon…

Avertissement : Quantités et unités

calculsL’étude ci-dessous paraîtra peut-être ardue au non spécialiste car il y est largement question de quantités d’éléments fertilisants. Cela implique la présentation et la comparaison de quelques chiffres que nous avons cherchés à exposer le plus simplement possible. Nous attirons l’attention du lecteur sur le fait que la question des quantités est cruciale pour bâtir une agriculture durable (i.e. écologique et productive). L’approche qualitative de la nature du sol et de son écosystème est une base indispensable, mais l’agriculteur doit nécessairement décider ce qu’il apporte ou non sur sa parcelle et en quelle quantité. La question des quantités de fertilisants est largement traitée en agriculture conventionnelle (d’une manière peu satisfaisante), mais cette question est moins mise en avant en agriculture biologique, à fortiori d’inspiration permaculturelle. Elle est néanmoins essentielle, c’est pourquoi nous tentons ci-après de fournir quelques éléments de comparaison disponibles dans les ouvrages spécialisés. Très pragmatiquement, nous espérons que cela réduira le risque « d’en mettre trop », ce qui pollue, comme le risque « de ne pas en mettre assez », ce qui est préjudiciable en termes de production.

Unités

La question des unités est toujours un peu compliquée pour la fertilisation : comment comparer des tonnes de fumier/ha à des m3 de compost, à des kilo d’engrais par m²… Chacun décrit sa méthode de fertilisation dans des termes différents. Nous nous livrons ci-dessous à un exercice de comparaison de différentes approches. Pour cela, il nous faut convertir toutes les données de manière à les rendre aisément comparables. Les fameuses « unités d’azote » servent justement à cela :

1 unité = 1kg/ha= 1g/10m²= 0,1g/m²  de l’élément en question

Parler en unité permet d’accéder directement au contenu minéral de différents types d’apport présentant des richesses variables.

La notion d’unité et surtout utilisée en grandes cultures (céréales) en agriculture conventionnelle, car elle est adaptée aux calculs de fertilisation. Malgré les critiques ci-dessus des calculs de fertilisation, l’utilisation des unités pour la fertilisation en maraîchage biologique a l’avantage de permettre de comparer des apports de différentes natures. De plus, le calcul des unités montre souvent que les apports « habituels » sont importants voire excessifs. Le calcul des unités  est un outil qui peut être utile pour réduire les doses de fertilisant biologique en les objectivant.

Fertilisation : les recettes des Chefs

Nous présentons dans cette partie des synthèses concises des principes de fertilisation proposés par différents spécialistes de l’agriculture écologique. La comparaison est riche d’enseignement et nous a permis de définir notre fertilisation sur la ferme de la Bourdaisière, présentée en dernière partie de ce dossier.

Weil et Duval

Les agronomes canadiens Anne Weil et Jean Duval, dans leur Guide de gestion globale de la ferme maraîchère biologique et diversifiée (accessible sur internet), mettent en avant les risques d’excès de phosphore. Cette approche est en partie culturelle, les normes canadiennes mettant l’accent sur les excès de phosphore alors qu’en France on surveille et incrimine d’abord les excès d’azote. Toutefois, des deux côtés de l’Atlantique les problèmes d’eutrophisation sont clairement liés aux excès conjugués de phosphore ET d’azote, dus à l’usage excessif de fertilisants, aux élevages intensifs et aux fortes concentrations de population humaine.

Compost + azote organique : un régime complet ?

Cette approche a l’avantage de souligner que dans les systèmes d’agriculture biologique où des fumiers

Le compost enrichit le sol en humus et en éléments minéraux variés.
Le compost enrichit le sol en humus et en éléments minéraux variés.

compostés constituent l’essentiel de l’amendement, il est vraisemblable que le phosphore, la potasse et les oligoélements se trouvent en excès. « En général, les besoins de fertilisation en phosphore sont assez faibles dans les sols ayant plus de 150kg/ha de P. » A la ferme de la Bourdaisière, les parcelles ayant reçu de forts apports de compost lors des deux premières années pour améliorer le taux de matière organique (environ 6,7%), contiennent 0,37g/kg de phosphore (P2O5) soit pour les 30 premier centimètres de sol, environ 1700kg/ha ! Pas de manque de phosphore donc. La riche vie fongique de nos sols mettra ce phosphore à disposition des plantes.

Pour ce qui est du potassium, « les besoins de fertilisation en potasse sont faibles dans les sols ayant plus de 350kg/ha de K. » Les même parcelles de la Bourdaisière contiennent 0,58g/kg de K2O soit environ 2600kg/ha. Pas de pénurie.

La corne broyée apporte de l'azote organique à libération lente.
La corne broyée apporte de l’azote organique à libération lente.

L’amendement en compost apporte de grandes quantités des éléments nécessaires au bon développement des plantes. Pour le phosphore, la potasse et les oligo-éléments, nous comptons sur la vie du sol pour fournir les plantes selon leurs besoins en minéralisant la matière organique du sol. L’azote est un cas particulier car l’abondance de carbone dans le sol fait que les micro-organismes ont tendance à capter l’azote disponible. Ainsi, bien que le stock d’azote soit également gigantesque, les plantes peuvent manquer de cet élément.

Un « régime de fertilisation bio complet » correspond donc à des apports de compost et des apports d’azote (sauf cas particulier de carence ou de pH). L’étude ci-dessous se focalise donc sur les pratiques d’apports de compost et d’azote en considérant qu’une optimisation de ce double apport rend inutiles les apports de phosphore, potassium et autres éléments.

Jean-Paul Thorez

thorez livreDans son ouvrage de référence Le guide du jardin BIO, Jean-Paul Thorez et Brigitte Lapouge-Déjean donnent les recommandations suivantes :

Apports de compost :

  • plus de 3kg/m² de compost (soit > 30T/ha) pour les cultures exigeantes, soit une couche de plus 4 mm de compost
  • moins de 3kg/m² de compost (soit < 30T/ha) pour les cultures moyennement exigeantes, soit une couche de moins de 4mm de compost
  • pas d’apport pour les cultures peu exigeantes

On voit que selon la manière de décrire la dose d’un apport, la perception qu’on en a est très variable. Si 30 tonnes par hectare peuvent sembler une quantité importante, apporter une couche 4mm de compost peut sembler bien faible. C’est pourtant exactement la même chose ! Dès que l’on travaille sur petites surfaces, on tend à augmenter les doses.

Pour ce qui est de la fertilisation azotée, les auteurs nous proposent un grand éventail de produits fertilisants biologiques :

fertilisants azotés bio thorez

De manière générale, les doses d’azote préconisées (en unité d’azote) sont d’autant plus faibles que la libération de cet azote est rapide et ce d’autant plus que le sol est « léger » et pauvre en matière organique et qu’il a donc une faible capacité de rétention.

John Jeavons

John Jeavons, partisan d’un maraîchage très intensif, décrit son approche dans Comment faire pousser plus de légumes que vous ne l’auriez cru possible sur moins de terrain que vous ne puissiez l’imaginer. Le programme proposé par ce titre ambitieux passe par un important travail de préparation du sol et des apports de fertilisation importants. Préparer une planche passe pas : décompaction et désherbage, apport de 2,5 cm de sable et de 7,5 cm de compost, un double bêchage (travail manuel du sol sur 50 à 60 cm sans retournement), apport d’engrais biologique, test du sol, amendement correctif du pH, tassement de surface.

Ses recommandations d’apports azotés (p. 18) sont contextualisées selon l’analyse de sol et varient de 50 unités (pour un sol très riche) à 250 unités (pour un sol très pauvre). Les formes conseillées sont : poudre de sang (action rapide, dure 3 à 4 mois), poudre de poisson, poudre de graine de cacao ou corne et sabot (démarrage lent, dure un an). Il recommande également des apports en phosphore et en potasse.

Dans son « Programme général de fertilisation » (p.23), il propose des apports décroissants sur les 5 premières années pour améliorer un sol pauvre.

ferti jeavons

Pour un sol moyen, Jeavons préconise de commencer le traitement directement en « année 3 », et pour un bon sol, directement en « année 5 ». Le sol de la ferme de la Bourdaisière est à 82% sableux et contient initialement 1,5% de matière organique, il s’apparente donc à un sol pauvre. Nous retenons la logique de construction d’un sol riche sur plusieurs années proposée par Jeavons, mais les ordres de grandeur des apports proposés ci-dessus nous paraissent tout à fait excessifs. Se référer au bas de cet article pour un descriptif de la fertilisation adoptée à la Ferme de la Bourdaisière.

Jean-Martin Fortier

Jean-Martin Fortier décrit en détail le fonctionnement de sa micro-ferme maraîchère biologique dans son

les jardins de la grelinette
les jardins de la grelinette

excellent livre Le jardinier-maraîcher. Trois personnes y cultivent 0,8 ha avec un grand succès économique. Il y présente, entre autre, sa méthode de fertilisation. Il utilise un compost commercial dont la montée en température est maîtrisée. Cela lui évite d’avoir à retourner des dizaines de tonnes de fumier pour fabriquer un bon compost. Il apporte également des granulé de fumier de volaille (N-P-K 4-4-2 ; lire 4 % d’azote, 4% de phosphore et 2% de potassium) et met en place des rotations sur 10 ans incluant des engrais verts.

Son amendement initial fut d’environ 7 brouettes de compost par planche de 22,5m² (30m*0,75) soit l’équivalent de 100 tonnes/ha  d’un compost très riche en mousse de tourbe (p.50).

Durant les première années, les apports de fertilisants (p.58) étaient de :

Ferti Fortier

Ces apports importants ont abouti à un fort enrichissement du sol, ce qui a amené Jean-Martin Fortier et son équipe à  diminuer les doses de composts et à ne plus fertiliser les légumes les moins exigeants.

Joseph Pousset

Agronome et agriculteur, dans sou ouvrage pointu Engrais verts et fertilité des sols, Joseph Pousset met l’accent sur la diversité des apports d’azote naturel :

  • la fixation d’azote atmosphériques par des bactéries symbiotiques et non-symbiotiquesvesce
  • les apports par la pluie et les orages
  • la fixation d’azote par la cellulose (notamment lors de l’utilisation de paillage)
  • la minéralisation de l’humus
  • la production/remobilisation d’azote par la culture d’engrais verts

Selon lui une optimisation de ces apports naturels alliée à une agriculture acceptant des rendements raisonnables sont des voies prioritaires pour bâtir une agriculture durable. Il incite ainsi à développer des approches à très faibles intrants.

Les Bourguignon

LAMS
Le site du LAMS présente de nombreux organismes des sols.

Claude et Lydia Bourguignon, microbiologistes des sols de renom et virulents défenseurs d’une agriculture favorisant la vie du sol, ont néanmoins une approche pragmatique. Dans la préface de leur livre Le sol, la terre et les champs ils font remarquer que « en agronomie classique, un blé labouré demande 3kg d’azote par quintal […], en agrologie un kilo d’azote suffit pour produire un quintal de blé ». On pourrait donc produire 50 quintaux/hectare (ce qui est un rendement moyen) avec seulement 50 unités d’azote apportées (ce qui est très en deçà des pratiques qui atteignent fréquemment les 200 unités).

L’idée de diviser par 3 les doses d’apport azoté par rapport à une approche conventionnelle nous parait très juste : des apports suffisamment limités pour éviter toute perte, mais des apports tout de même pour éviter tout manque d’azote dans des sols riches en carbone. On évite ainsi les écueils d’une approche « puriste » qui refuserait tout apport de fertilisant et celui de l’approche fort classique, même en bio qui consiste à apporter des doses importantes d’azote qui coûtent cher et dont une part ira polluer les eaux.

Cette stratégie se base bien sûr sur la vie du sol et donc sur des apports sous forme organique, ou substitués par des cultures de légumineuses : « En 1950, la France cultivait trois millions d’hectares de luzerne, elle n’en cultive plus que deux cent milles hectares. […] Développons à nouveau les légumineuses, nous ferons faire des économies aux agriculteurs et nous protégerons nos eaux qui sont de moins en moins potables. Par contre, un petit apport d’azote organique ou chimique en début de végétation (vingt à trente kilo par hectare) peut faire gagner trois semaines à une culture et augmenter fortement sa qualité et sa quantité sans mettre en danger les nappes phréatiques ». En effet les risques de ruissellement d’azote dus à des apports aussi faibles sont quasi inexistants, ce d’autant plus que le sol est riche en humus, que son écosystème est en bonne santé et que l’apport est fait sous forme organique.

Nous avons donc décidé de décliner cette logique au maraîchage, ainsi qu’il est décrit sur la page suivante « fertilisation 3« .

Autres articles traitant de ce sujet

Fertilisation 1 : définir sa stratégie

Fertilisation 3 : à la ferme de la Bourdaisière

Fertilité et vie du sol

Pour en savoir plus

Liens :

  • Le Laboratoire d’Analyses Microbiologiques des sols des Bourguignon présente une remarquable collection d’images des organismes vivants dans le sol, ainsi que leurs services de conseil pour améliorer les pratiques agricoles.
  • Maraîchage sur sol vivant, formation de Konrad Schreiber. L’association maraîchage sur sol vivant fait un travail remarquable de recherche et d’éducation aux pratiques agricoles basées sur la bonne santé de l’écosystème du sol. Le présent lien dirige vers une série de vidéos d’un cours passionnant : La fertilité des sols : Pivot des pratiques agroécologiques en maraîchage
  • Guide de gestion globale de la ferme maraîchère biologique diversifiée, rédigé par Anne Weil et Jean Duval. Ouvrage pointu et riche. Rédigé au Canada, la plupart des ses réflexions sont tout aussi pertinentes en Europe. Voir notamment les chapitres : 12, 13 et 14
  • Fertilisation azotée en maraîchage biologique de plein champ : résultat des essais du GRAB, cet article d’Hélène Védie montre qu’en sol lourd, après une culture hivernale d’engrais vert de légumineuses, un apport d’azote est quasiment sans effet sur les rendements.
  • vidéo avec Marc Dufumier

    présentant (entre autre ) les enjeux de qualité de l’eau liés à l’agriculture (95% des pesticides et 70% des nitrates présents dans les eaux sont issus de l’agriculture.)

  • Guide pratique production végétale en agriculture biologique d’Ecocert
  • Gérer la fertilité du sol, Laura Van Scholl, publié par Agromisa aux Pays-Bas. Le dernier chapitre rappelle l’ensemble des caractéristiques importantes d’un sol.
  • Calcul de la fertilisation azotée, Comifer, (Comité français d’études et de développement de la Fertilisation raisonnée) : ce document donne de nombreuses informations (cycle de l’azote, méthodes de calcul) sur l’approche de la fertilisation en agriculture « raisonnée » (donc conventionnelle). La complexité de la démarche ne doit pas faire perdre de vue les incertitudes et la part d’arbitraire lié à l’estimation de certains paramètres ou de certains coefficients. Il nous semble que ces prescriptions aboutissent à des apports excessifs d’engrais azotés, de plus souvent sous forme minérale ce qui favorise pertes et pollutions.

 

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Ce dossier a été réalisé par Horizon Permaculture